Réforme de la Facturation Électronique en France : Entre Entreprises, Technologie et Réglementation

Sovos
novembre 11, 2025

À l’approche du Tax Compliance Summit Sovos Always On – Paris, le 19 novembre, nous avons échangé avec Cyrille Sautereau, Président de la Commission AFNOR « Facture Électronique » et du Forum National de la Facturation Électronique et de la Commande Publique (FNFE-MPE). Il revient sur l’évolution du paysage français en matière de facturation électronique, les défis que pose l’interopérabilité et la place de la France dans la définition des futures normes européennes.

Le Forum national de la facture électronique et des marchés publics électroniques (FNFE-MPE) joue un rôle clé dans la concertation autour de la réforme. Pouvez-vous rappeler la mission du Forum et la manière dont il agit comme passerelle entre l’administration et les entreprises ?

Le Forum national de la facture électronique existe depuis 2012, suite à la création d’un Forum Européen multipartites de la facture électronique (EMSFEI), qui a conduit la création de forums miroirs dans certains pays membres comme la France et l’Allemagne. Sa mission, dès l’origine, est d’accompagner le développement de la facture électronique en France, dans le secteur public comme privé, en cohérence avec les initiatives de l’UE. Nous nous sommes constitués en association en 2016, et nous comptons aujourd’hui plus de 280 membres répartis en trois collèges : les utilisateurs, les prestataires de services et les Experts et Conseil Indépendants.

Notre rôle est à la fois normatif et pédagogique. Normatif, parce que nous travaillons activement sur les standards européens et nationaux de la facture électronique, en lien étroit avec la Commission AFNOR « Facture électronique » que je préside également ; et pédagogique, parce que nous apportons à l’écosystème les bonnes pratiques et la compréhension des textes, pour aider les entreprises à passer à la facturation électronique dans de bonnes conditions.

Enfin, nous jouons pleinement notre rôle de passerelle entre les pouvoirs publics et le marché. Le FNFE est régulièrement consulté par l’administration fiscale et par le législateur, notamment sur les évolutions réglementaires liées à la réforme. Nous apportons l’expertise du terrain : notre connaissance des pratiques de facturation, des outils et des contraintes des entreprises. C’est ce dialogue permanent qui permet d’ajuster la réglementation et de favoriser une mise en œuvre harmonieuse, au service de la réussite de la réforme.

 

Le FNFE-MPE rassemble à la fois des acteurs publics, des entreprises, des éditeurs et des experts techniques. Comment parvenez-vous à fédérer ces acteurs aux intérêts parfois divergents pour aboutir à des standards communs ?

Le FNFE-MPE rassemble effectivement une grande diversité d’acteurs : entreprises, éditeurs, prestataires de services, experts-comptables, fédérations professionnelles… mais aussi représentants de l’administration. Notre rôle est effectivement de faire dialoguer ces univers qui n’ont pas toujours les mêmes priorités. La clé, c’est la transparence et la co-construction : chacun peut participer à nos groupes de travail et contribuer à l’élaboration des standards.

Nous organisons plusieurs séances plénières par an, ainsi qu’une dizaine de groupes de travail thématiques : réforme facture électronique, interopérabilité, standards et normes, communication, bonnes pratiques, facture et paiement, factures B2G, Affacturage. Ces espaces permettent de partager les retours d’expérience, d’identifier les difficultés concrètes et de les faire remonter aux instances de normalisation.

Cette approche collective a permis de construire un véritable langage commun entre acteurs publics et privés. C’est ce qui fait la force du FNFE : la capacité à fédérer l’ensemble de l’écosystème autour d’une vision partagée, en veillant à ce que les choix techniques et réglementaires restent réalistes, efficaces et au service des entreprises.

 

L’un des grands enjeux de la réforme repose sur l’interopérabilité entre les plateformes privées et les systèmes publics. Quels sont, selon vous, les principaux défis à surmonter pour garantir un écosystème fluide et cohérent ?

L’interopérabilité est effectivement l’un des sujets les plus sensibles de la réforme. Contrairement à ce que l’on imagine, le principal défi ne réside pas tant dans la connexion entre les plateformes privées et le Portail Public de Facturation — cette interface est strictement définie par les spécifications de la DGFiP — que dans la fluidité des échanges entre les acteurs privés eux-mêmes.

Le premier enjeu concerne les plateformes agréées (ex PDP) qui devront pouvoir échanger entre elles sans multiplier les développements bilatéraux. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons soutenu la création du réseau Peppol en France : un modèle où l’on se connecte une seule fois pour être interopérable avec l’ensemble des autres membres du réseau. Le deuxième pilier repose sur un système d’adressage commun, fondé sur le SIREN et géré dans un annuaire public. Cela garantit que chaque entreprise est joignable via une adresse de facturation électronique (ou quelques unes pour adresser certains cas d’usages), indépendante de la plateforme agréée qu’elle utilise, c’est-à-dire qui ne change pas quand on change de plateforme. C’est la portabilité.

Enfin, il faut aussi penser au « dernier kilomètre », c’est-à-dire à la connexion entre les entreprises et leur solution de gestion (les Solutions Compatibles) et leur propre plateforme agrée. Les solutions logicielles étant très nombreuses, il est indispensable d’éviter les intégrations propriétaires. C’est tout l’objet des travaux menés avec l’AFNOR autour d’une API standard, pensée comme un connecteur universel. L’objectif, c’est que le passage d’une plateforme agrée à une autre soit simple et rapide. Cette portabilité est une condition essentielle pour garantir un écosystème fluide, ouvert et durable.

 

Le mandat français de facturation électronique — c’est-à-dire l’obligation progressive d’émettre et de recevoir des factures via des plateformes agréées à partir de 2026 — s’inscrit dans une dynamique européenne plus large, portée notamment par le projet ViDA (VAT in the Digital Age). Comment la France se positionne-t-elle dans cette transformation à l’échelle de l’Union européenne ?

La réforme française est très largement alignée avec le projet européen ViDA, qui vise à harmoniser les pratiques de facturation électronique et de transmission des données au sein de l’Union. ViDA prévoit en effet que les États membres mettent en place des systèmes de reporting et de facturation électroniques reposant sur des données structurées et des formats normalisés. C’est exactement ce que nous avons anticipé en France.

Notre modèle national, fondé sur l’échange de factures électroniques entre assujettis français, avec une transmission automatique des données à l’administration fiscale, correspond déjà à l’architecture que promeut ViDA. La différence, c’est que la France a choisi d’intégrer dès le départ les dimensions de facture électronique obligatoire ET de e-reporting de données de facturation à l’Administration, là où d’autres pays ont d’abord limité la réforme à l’obligation de facture électronique B2B, remettant à une seconde phase la partie e-reporting. Nous avons également ajouté deux spécificités : le suivi des statuts de facture — pour assurer la traçabilité du cycle de vie et offrir de la visibilité aux fournisseurs (et donc la valeur ajoutée qu’ils sont en droit d’exiger)  — et l’intégration du e-reporting B2C, absente du périmètre européen. En somme, la France n’aura pas besoin d’adapter sa réforme à ViDA : elle s’y inscrit naturellement. 

 

Certains estiment que la France pourrait devenir un modèle de référence en Europe, à condition de réussir son déploiement technique et organisationnel. Partagez-vous cette vision ? Quelles leçons les autres États membres pourraient-ils tirer de l’approche française ?

La France peut effectivement devenir un modèle de référence en Europe, à condition de réussir le déploiement opérationnel de la réforme. Ce qui fait notre singularité, c’est la volonté d’avoir abordé le sujet de manière globale, en intégrant simultanément les aspects techniques, réglementaires et métiers. Là où d’autres pays ont procédé par étapes – d’abord la facture électronique, puis le reporting – nous avons choisi d’unifier les deux dimensions dès le départ.

Or le fait d’exiger que les données relatives à la TVA soient transmises à l’Administration fiscale par extraction de données de chaque facture impose implicitement que dans chaque facture le Vendeur soit celui en charge de la collecte de TVA et l’Acheteur soit celui qui bénéficie de la déductibilité de la TVA. Ceci ajoute une contrainte additionnelle dans un grand nombre de cas où des tiers, des intermédiaires transparents au sens fiscal, ont mis en œuvre des services d’agrégation de factures en vue d’une comptabilisation et / ou d’un paiement groupés.

Notre approche s’appuie sur un travail collectif considérable mené au sein de la Commission AFNOR « Facture électronique », que je préside également. En six mois, plus de 250 experts issus de tous les secteurs ont participé à plus de soixante réunions. Ce travail a permis de mettre en lumière la complexité réelle des cas d’usage, souvent méconnue : par exemple, les situations où plusieurs prestataires interviennent dans une même facture pour un acheteur unique  – comme dans les secteurs de l’eau, du leasing, de l’assurance ou du voyage. Nous avons découvert que ces configurations étaient bien plus fréquentes qu’on ne l’imaginait, dans des secteurs très divers. De même ces travaux ont servi d’abord à documenter la façon de faire rentrer les factures dans la norme sémantique européenne EN16931, base de ViDA, mais aussi à identifier des manquements réels, adressés par des extensions, c’est-à-dire des ajours de données, voire de règles de gestion. Enfin, ceci a aussi confirmé la nécessité d’introduire une certaine flexibilité au travers de la fourniture d’une représentation lisible pouvant contenir des informations utiles et nécessaires opérationnellement, mais ne rentrant pas dans le modèle de la Norme sémantique ou hors des capacités techniques de certaines entreprises (notamment les TPE), avec les factures hybrides et le format Factur-X.

C’est justement cette capacité à identifier ces cas particuliers et à les traiter dans un cadre normatif partagé qui constitue, à mon sens, la principale force du modèle français. Elle permet d’anticiper les situations complexes, d’apporter des solutions normalisées (au mêmes problèmes les mêmes solutions, quels que soient les secteurs) et d’assurer la cohérence entre les exigences réglementaires et les pratiques de terrain. Beaucoup d’États membres pourront s’inspirer sans doute de cette approche intégrée pour la mise en œuvre de ViDA.

 

Au-delà de la conformité, la réforme va générer une masse de données économiques inédites et normalisées. Pensez-vous que cette infrastructure puisse, à terme, devenir un levier de compétitivité et d’innovation pour les entreprises françaises ?

Au-delà de la conformité, cette réforme va surtout transformer la manière dont les entreprises pilotent leur activité. En généralisant la facture électronique, on introduit des données structurées, fiables et disponibles en continu, là où la majorité des échanges reposaient encore sur des PDF ou des documents papier. Cela change tout : cette donnée devient exploitable instantanément par les systèmes de gestion, sans retraitement ni ressaisie.

Concrètement, cela permettra à toutes les entreprises – y compris les PME – d’accéder à un niveau d’automatisation et de visibilité jusqu’ici réservé aux grands groupes. Avoir un reporting de trésorerie ou un arrêté mensuel ne nécessitera plus des jours de consolidation : les factures seront intégrées en temps réel, et les écarts immédiatement visibles. Cette réactivité renforcera la capacité des dirigeants à piloter leur performance, détecter les signaux faibles ou anticiper les retards de paiement, bref passer à la gestion prédictive.

On peut aussi imaginer, à terme, des services à valeur ajoutée basés sur l’analyse agrégée et anonymisée de ces données. Par exemple, une plateforme pourrait fournir à ses clients en position d‘achat des comparaisons de prix moyennés sur les achats de ses pairs, lui permettant de mieux se positionner sur son marché. Ces usages restent à encadrer pour garantir la confidentialité, mais ils ouvrent de réelles perspectives. La compétitivité ne viendra donc pas seulement de la conformité, mais de la qualité et de l’exploitation intelligente de la donnée.

 

Vous interviendrez lors de l’événement Always-On de Sovos le 19 novembre, qui réunira les acteurs publics, les entreprises et les fournisseurs de solutions autour de la facturation électronique et de la conformité fiscale. Qu’attendez-vous de ce type de rencontre à ce moment charnière de la réforme ?

Nous participons régulièrement à des événements comme Always-On car ils jouent un rôle essentiel dans la pédagogie collective autour de la réforme. Plus il y a d’occasions de dialoguer, mieux c’est. Pour le FNFE-MPE, c’est une manière concrète de remplir notre mission d’accompagnement des entreprises. Ces rencontres permettent d’expliquer ce que recouvre réellement la réforme, de démystifier sa mise en œuvre et d’apporter un regard neutre, complémentaire à celui des prestataires.

C’est important, car les entreprises ont souvent une vision parcellaire de la réforme : certaines en surestiment la complexité, d’autres n’en perçoivent pas encore les impacts. Dans ce contexte, les échanges directs entre acteurs publics, experts, éditeurs et utilisateurs sont essentiels pour diffuser une culture commune et des repères fiables. Ces événements contribuent à faire passer un message clé : la réussite de la facturation électronique repose sur l’adoption de standards partagés, la cohérence des pratiques et le refus de la sur-complexité.

Pendant longtemps, chacun a développé ses propres processus, ses portails, ses formats à imposer à ses contreparties, ce qui a eu un succès très limité. L’un des objectifs de la réforme est justement d’en finir avec cette logique du “chacun pour soi” pour construire un écosystème véritablement interopérable, et un événement comme Always-On y contribue !

 

Parmi les nombreux sujets dont il sera question lors de l’événement, celui de l’intelligence artificielle est particulièrement important. L’IA s’invite désormais dans le contrôle comme dans la conformité. Comment veiller à ce que cette évolution technologique renforce, plutôt qu’elle ne fragilise, la relation de confiance entre contribuables et autorités ?

L’importance de l’IA ira en effet croissante, à mesure que les volumes de données augmenteront. Elle peut, d’abord, aider les entreprises à mieux comprendre ce que l’administration « voit » d’elles, en comparant leurs propres données à celles issues du pré-remplissage. Cette « visibilité miroir » permettra d’identifier plus vite les écarts et d’en expliquer ou comprendre les causes, avant même qu’un contrôle ne soit déclenché.

Mais il faut rester lucide sur les limites de la technologie. L’IA est un outil d’aide à l’analyse, pas un juge de vérité. Comme toujours, son efficacité dépendra des algorithmes que l’on développera et de la qualité des données qu’on lui fournira. Utilisée de manière rigoureuse et transparente, elle peut renforcer la confiance entre entreprises et l’administration en rendant les processus plus objectifs et rapides. À l’inverse, si elle est mal encadrée, elle risque de créer de nouvelles zones d’opacité oud e malentendus.

L’enjeu, dans les années à venir, sera donc de trouver le bon équilibre : exploiter la puissance de l’IA pour fiabiliser et simplifier la conformité, tout en préservant la capacité humaine d’interprétation et de dialogue. C’est à cette condition que la technologie servira réellement la confiance, plutôt que de la fragiliser.

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Sovos

Sovos a été conçu pour résoudre les complexités de la transformation numérique de la fiscalité, avec des offres complètes et connectées pour la détermination de l’impôt, le contrôle continu des transactions, la déclaration fiscale et plus encore. Les clients de Sovos comprennent la moitié du Fortune 500, ainsi que des entreprises de toutes tailles opérant dans plus de 70 pays. Les produits SaaS et la plate-forme propriétaire Sovos S1 de la société s’intègrent à une grande variété d’applications métier et de processus de conformité gouvernementale. Sovos a des employés dans toutes les Amériques et en Europe, et appartient à Hg et TA Associates.
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